RĂ©sonances lyriques aux Galeries Saint-Hubert
Ce jeudi 13 mai, la maison dâĂ©dition maelstrĂm reEvolution et la Foire du Livre de Bruxelles se sont alliĂ©es pour proposer aux Bruxellois une expĂ©rience inĂ©dite, un gueuloir poĂ©tique dans les Galeries Royales. En bas, il y avait lâallĂ©e principale, pleine de touristes une gaufre Ă la main et de piĂ©tons Ă la recherche dâun abri contre le pluie. En haut, un appartement dĂ©sert, dâimmenses piĂšces vides aux hauts plafonds. Entre les deux, accoudĂ©.es sur les appuis de fenĂȘtre, sont passĂ©es Marie Darah et Morgane Eeman avant que Corian Paulard, Maxence Dewel et Gwladys Lefeuvre ne se rĂ©pondent. La sĂ©lection de lectures Ă©tait issue de la collection « Bruxelles se conte », ce jeudi-lĂ , les artistes auront montrĂ© que Bruxelles se crie.
Marie Darah entame la gueulante. Cette Carolo dâorigine a dĂ©barquĂ© Ă Bruxelles il y a 13 ans pour y suivre des Ă©tudes au Conservatoire en art de la parole. Depuis, elle considĂšre la capitale comme sa maison. Son bookleg, nom donnĂ© par les Ă©ditions maelstrĂm aux livrets d’action poĂ©tiques, est sorti en dĂ©cembre dernier. Depuis que tu nâas pas tirĂ© raconte Bruxelles la nuit, de Bruxelles la pauvre. Lâhistoire dâun gamin qui la braque au resto oĂč elle travaille. La fin est spoilĂ©e dans le titre, pas grave, on continue pour les rĂ©cits satellites, et surtout, pour le style incisif. Les phrases riment mais on ne le sent mĂȘme pas tant on est transis par la morsure des mots. Marie Darah vient de la culture du spoken word, et lâinfluence du slam qui rythme son Ă©criture ne demande quâĂ ce que ce dernier soit lu Ă voix haute.
Morgane Eeman prend la relĂšve. Elle non plus nâest pas bruxelloise dâorigine, elle aussi a dĂ©couvert la ville avec les Ă©tudes supĂ©rieures. Et elle lâa dĂ©testĂ©e, Bruxelles, avec sa pollution et son bruit, si loin de sa Gaume natale, loin « de lâodeur des batraciens quâ[elle] a toujours associĂ©e Ă lâestragon, (âŠ) des chats qui rentrent le soir et ronronnent ». VoilĂ ce quâelle raconte dans Au fond un jardinet Ă©touffĂ©. Pourtant aujourdâhui, elle Ă©tait lĂ , dans le centre du centre du pays pour lui dĂ©clamer tout son dĂ©goĂ»t. « La collection de Bruxelles se conte, je lâai prise un peu Ă contre-pied, parce que jâimagine que câest plein de textes de gens qui aiment cette ville oĂč jâai vraiment passĂ© les pires annĂ©es de ma vie (âŠ) et donc câest chouette de pouvoir dĂ©fendre un texte tout en montrant quâil y a quand mĂȘme des belles choses Ă Bruxelles et que je nâĂ©tais juste pas dans le bon Ă©tat pour les voir. »
Corian Paulard, Maxence Dewel et Gwladys Lefeuvre terminent. Ils sont tous trois Ă©tudiants du Conservatoire et se partagent, entre autres, la lecture dâune des Chroniques des rues de Bruxelles de Jacques Collin de Plancy. Ils ont choisi celle de la rue-au-lait, premier tronçon de lâactuelle rue du Midi. Ils enchaĂźnent avec le dĂ©but de Fauchage tardif :
« Il y a dans cette une-comme / De la ville aux confins / Une avenue du Forum sans le moindre Forum / Une avenue de lâAmphore toute vidĂ©e de son vin / Une chaussĂ©e Romaine qui ne va pas Ă Rome / Un thĂ©Ăątre romain Ă peine quelques gradins / Vois-tu Rome est Ă Rome / OĂč mĂšnent tous les chemins / Mais ici câest pas comme / Ici ne mĂšne Ă rien / Nâoublie pas bonhomme / Ici ni jeux ni pain / Seul un colossal Atome / Qui dĂ©prime le lointain »
Dans la galerie, une petite dame sâexclame, un peu de dĂ©ception dans la voix « aah, câĂ©tait donc ça le gueuloir poĂ©tique⊠Je mâattendais Ă tout Ă fait autre chose, moi, Ă ce quâon nous crie quâon Ă©tait vraiment tous des cons ». Non madame, le concept est en fait inspirĂ© de Flaubert, qui assurait « je ne sais quâune phrase est bonne quâaprĂšs lâavoir fait passer par mon gueuloir ». Un exercice de haut vol rĂ©ussi avec brio par les cinq lecteurs.
Milena de Bellefroid
Photo : Alice WalravensÂ